La promenade du néophyte

Fontainebleau, 30 septembre 2009.

Qu’entendait donc Lawrence d’Arabie dans son désert, les yeux tournés vers le ciel étoilé ? Par cette matinée brumeuse mais tiède, les sables gris du massif des Trois Pignons avalent les pas du promeneur néophyte, celui qui voit sans connaître, entend sans savoir, mais s’émerveille de tout. Par chance, j’ai à mes côtés un spécialiste de la nature. Il suffit de demander : il répond. Un chant d’oiseau au-dessus de ma tête. Un craquement dans l’épaisse forêt de pins. Une trace d’animal au sol. L’inconnu prend alors forme, même si l’imagination en pâtit parfois. Eh non, les traces de licorne en forêt de Fontainebleau, aucun naturaliste ne les a encore trouvées !
Alors que nous arpentons le sentier solitaire cerné d’un imbroglio d’arbres et de lande à bruyère d’un beau ton parme, à l’affût de ce que peut apporter la forêt comme découvertes, le silence est soudain brisé par un « gri-gri » perçant et répétitif. Un insecte chante la vie, invisible au milieu d’un tapis de callunes. Sa stridulation est nette, intense, et se détache sans mal des sonorités continues du grillon des bois, qui s’entendent en arrière plan. Je parviens même à déterminer deux temps sonores : d’abord une double stridulation brève et très aigüe ; ensuite, très léger, à peine audible, un léger froissement d’ailes lui fait suite.
Je signale à mon « audionaturaliste » ce son qu’il ne peut percevoir. Il s’arrête net, pour ne pas inquiéter l’insecte, curieux de mon imitation de ce « gri-gri » spécifique. Le promeneur accompagnateur d’un audionaturaliste se doit en effet d’avoir deux qualités : une ouïe excellente, portant loin dans la gamme ; un don inné et prononcé pour l’imitation. L’oreille aux aguêts, je tente de repérer au mieux la provenance du son pendant que le spécialiste arme son matériel d’écoute et d’enregistrement. Des micros sortent de toutes les poches, suivis de fils qui pendent partout, le tout finissant par se relier à une boîte qui se met à vibrer à chaque stridulation de l’insecte, assurant ainsi le spécialiste que je n’ai pas rêvé et qu’il se passe bien quelque chose.
Pendant qu’il peaufine son installation, à pas de loup, je fouille l’amas végétal pour nous rapprocher au plus près de l’insecte dont le nom n’a plus de secret pour moi après une première écoute rapide grâce à l’amplification des micros, qui lui permet d’entendre le même son que moi : c’est un éphippigère. Pas peu fière, la néophyte, de vous écrire ce terme qui n’a certainement pas la même saveur exotique pour vous que pour moi ! « Ephippigère » chante autant à mon imagination que « licorne » ou « sirène », de quoi démarrer un beau conte. Quant à son identité exacte, je laisse le soin à vos yeux aguerris de se porter sur la photographie et de nommer précisément, en latin ou en grec, l’insecte. La néophyte que je suis ne peut vous en dire davantage ; juste titiller votre curiosité.

 

 En attendant, l’audionaturaliste peaufine son installation pour approcher au mieux le micro de l’insecte. La forêt, dans sa grande richesse, lui offre une longue perche fourchue au bout de laquelle il installe ses micros. Bien sûr, tout cela prend du temps, et il suffit que le spécialiste soit fin prêt pour que l’éphippigère, jusque là très volubile… se taise. Audionaturaliste, une école de la patience ! J’ai repéré le point P, et les micros sont dressés au-dessus, attendant le bon vouloir de l’insecte, qui ne se fait pas désirer longtemps. Cette fois-ci, il n’est plus seul. Dans le fourré d’à côté, un compagnon lui répond et le duo s’en donne à cœur joie un petit moment. Puis, le duo se fait trio, avec un répons venant de l’autre côté du sentier. Le vu-mètre de l’enregistreur s’affole. Le soleil vient de sortir de ses nuages. Sans doute les éphippigères lui chantent-ils (elles ?) un hymne ?
La disparition des chauds rayons fait taire les insectes. Nous attendons un peu, mais plus rien, hormis les grillons des bois. On met en veille le matériel et nous nous apprêtons à reprendre la route, lorsque le troisième larron s’égosille sans crier gare. La stridulation est très forte, et je parviens à repérer le buisson de callune d’origine. Mon « audionaturaliste », à l’œil plus exercé que le mien, repère l’insecte perché sur une branche infime et positionne le micro au-dessus de lui, s’offrant ainsi un superbe enregistrement. Je vois trembler ses élytres marrons à chaque stridulation, rapides et légers. Lorsque l’éphippigère se tait, je me glisse entre les buissons et parviens à me retrouver contre l’insecte sans même l’inquiéter, ce qui, pour moi, est un miracle. Je tente deux photographies dont les flashs ne l’émeuvent pas plus, ce qui me permet de voir son arrière train rayé noir et blanc… ou marron et blanc. Tout cela nous aura pris la matinée, passée comme si de rien n’était, en quête des merveilles de la nature.

C’est ici la petite expérience d’une promeneuse suivant son « audionaturaliste ». Ainsi voulut-il que je témoigne ; ainsi ai-je tenté de mon mieux. « Ce thème faible et vain, qui ne contient pas plus qu’un songe, gentils spectateurs, ne le condamnez pas ; nous ferons mieux, si vous pardonnez » (Shakespeare, Le songe d’une nuit d’été)

Fatima DE CASTRO

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1 réponse à La promenade du néophyte

  1. Noémie dit :

    Quelle belle description!!! J’en reste sans voix!
    Noémie

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